BAYROU: "LECANUET, L'HOMME DU CENTRE COURAGEUX"

Publié le par thiaisdemocrate

Clecanuet-lecanuet-bayrou-520219.jpge lu pour vous, Paris Normandie, le 23 Février 2013 ROUEN (Seine-Maritime).

 

Le président du Mouvement Démocrate, François Bayrou, a été un compagnon de route politique – et un ami – de Jean Lecanuet. Il évoque avec émotion sa mémoire.

Quelle image gardez-vous de Jean Lecanuet, l’européen, le centriste, le ministre ?
François Bayrou :
« D’abord celle d’un homme avec qui j’ai beaucoup parlé, beaucoup travaillé, beaucoup réfléchi. Une personnalité tout à fait exceptionnelle, un intellectuel brillant, major d’agrégation de philosophie alors qu’il était très jeune, résistant. Avec la haute conception de l’homme et de la société qu’incarne le centrisme. Il a profondément marqué la société française quand il s’est présenté à l’élection présidentielle en 1965. J’avais 14 ans, c’est la première fois que la politique arrivait sur les écrans. »


Vous souvenez-vous de votre première rencontre ?
François Bayrou : « C’était au milieu des années 70, au sein du Centre Démocrate (N.D.L.R. : ancêtre du CDS que présidera Jean Lecanuet). Il avait choisi, presque seul, de ne pas s’aligner sur le reste de la droite. En 1976, c’est lui qui réunit les familles centristes, puis en 1978 est créée l’UDF. J’ai été très jeune très proche de lui, de ses idées, de son goût pour l’écriture. Il m’avait confié l’écriture de ses textes, et c’était une grande confiance. (…/…) »

Donc l’image qui prédomine c’est d’abord celle du centriste ?
François Bayrou : « Celle d’un homme qui portait en lui une certaine idée du centre courageux. C’est celui qui résiste à toutes les pressions. Dans la vie politique française très souvent, les choses s’organisent afin que le centre baisse pavillon et disparaisse. Ce que j’ai aimé chez lui pendant une très longue période c’est qu’il résistait.
C’est aussi l’Européen J’ai beaucoup partagé l’idée européenne avec lui car, malgré la différence d’âge, il se trouve que tout le temps où Jean Lecanuet siégeait à Strasbourg, au Parlement européen, pendant qu’il en était membre, j’ai été moi-même le très jeune conseiller du président du Parlement européen, Pierre Pflimlin. J’ai donc passé beaucoup, beaucoup de soirées avec lui, à parler de politique mais pas seulement. De la vie… et de Jeanne d’Arc, et de Rouen !
Après il y a des souvenirs plus émouvants. Le soir (NDLR : en 1992, un peu moins d’un an avant sa mort) où il m’a pris à part à la mairie de Rouen pour m’annoncer qu’il allait bientôt mourir. De voir cet homme, avec la charge d’amitié qu’il y avait entre nous, me dire comme à un confident, un peu comme à un jeune frère, l’événement qui, au fond, est le plus bouleversant de sa vie, c’était très fort, très intime, comme une transmission. »

Vous êtes-vous souvent identifié à lui ? Il a vécu, lui aussi, une traversée du désert…
François Bayrou :« Vous savez : chaque fois que vous essayez de sortir du moule par lequel tout le monde accepte d’être formaté, vous avez des traversées du désert, c’est normal. Puis vient le moment, des mois ou des années après, où les gens se rendent compte. Donc, il ne faut pas le vivre comme une épreuve insurmontable. Mais en sachant que les choses qui valent la peine dans la vie, ce sont des choses qui imposent parfois un certain nombre de sacrifices. C’est même probablement à ça qu’on les reconnaît. »

Quel regard aurait-il aujourd’hui sur l’état de la droite ?
François Bayrou : « Je crois qu’il serait assez proche de ce que je pense… »

En même temps, il n’a pas été toujours sur une ligne autonomiste par rapport à la droite…
François Bayrou : « Oui mais avec un centre qui s’était organisé, non pas pour être soumis, mais pour être reconnu à part entière. Ce que j’ai reproché à un certain nombre de responsables c’est qu’ils ont choisi d’être soumis. Et puis Jean Lecanuet savait bien, pour l’avoir plaidé pendant très longtemps, et moi avec lui, qu’il est des problèmes qui ne peuvent être résolus dans un pays si on se décide à dépasser des frontières qui séparent le pays en deux camps. »

Pensez-vous que sa mémoire perdure ?
François Bayrou : « En tout cas, pour ceux qui l’ont rencontré, sa mémoire reste vive. C’était un esprit profond, pas toujours heureux, et qui n’hésitait pas à affronter les difficultés. Et c’était quelqu’un qui aimait par-dessus tout Rouen et la Normandie. Très souvent il m’a dit : viens à Rouen, tu me succéderas. Je lui répondais : au moment où je vous dirais oui vous ne me regarderiez plus de la même manière. »

Cela ne vous a jamais intéressé ?
François Bayrou : « Ce n’est pas la bonne expression. Nous étions, lui et moi, attachés à nos racines : il était Normand jusque dans l’humour qu’il y avait dans ses yeux. Il était né à Rouen. Moi je suis des Pyrénées. Nous sommes l’un et l’autre restés fidèles à notre histoire, et je suis sûr qu’il n’en attendait pas moins de moi. »

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